Le tailleur gris d'Andrea Camilleri
(Il tailleur grigio - 2009 - traduit par Serge
Quadruppani)
Au matin
du premier jour de sa retraite, le directeur d’une banque se sent dérouté car sorti des rituels quotidiens qui encadraient sa vie. Il évoque ses relations avec sa seconde femme, Adèle, de 20 ans
plus jeune que lui ; Adèle qui vit de l’autre côté de la maison avec son jeune amant et n’a plus de rapports avec le narrateur depuis des années.
Voilà un Camilleri qui pourra surprendre
les lecteurs habitués aux aventures de Montalbano ou aux histoires se passant à Vigata à la fin du XIXe siècle. D’abord parce qu’ils n’y retrouveront pas
la langue imagée et savoureuse de l’auteur (à peine un ou deux "s’aréveiller" ou "radasse"), ni son humour et son ironie coutumières. Si l’écriture est toujours aussi fluide et
agréable, le ton est plus sobre et discrètement plus grave ; comme si parler des femmes, ou au moins d’une femme, était un sujet sérieux pour
Camilleri ?
Car ce livre, c’est surtout le portrait d’une femme. Celle-ci, vue à travers les
yeux de son mari plutôt résigné, semble à première vue « une radasse » avide de sexe et de reconnaissance sociale. Mais insensiblement, le tableau se complexifie, se fait plus subtil,
et Adèle échappe finalement au jugement à l’emporte-pièce initial. Camilleri, dont toute l’œuvre est plus charitable envers les femmes qu’envers les hommes (combien de portraits de gros crétins
dans ses livres ?), semble nous dire qu’une femme immorale n’est pas une femme amorale. Il ne la juge pas. Au pire, pour lui, c’est juste une question de tempérament.
Et puis, à titre tout à fait personnel, le livre basculant doucement, sans heurt,
vers la tragédie, l’amoureux de l’auteur que je suis n’a pu s’empêcher de faire le triste rapprochement avec le fait qu’aujourd’hui, Camilleri lui-même à 85 ans ; et que
donc, selon toute probabilités, le nombre de « nouveaux Camilleri » qui me sera donné à lire à l’avenir pourrait être limité.
La quatrième de couverture évoque quelque chose des Simenon sans
Maigret; rapprochement assez judicieux, il me semble.
Ce livre court (130 pages) n’est pas représentatif des ouvrages de Camilleri.
C’est pourquoi je ne le conseillerai pas à qui voudrait découvrir l’œuvre de l’auteur. En revanche, je le recommande à ses lecteurs habituels afin qu’ils y découvrent une autre facette du talent
du vieux sicilien.