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27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 11:16

L'âme du chasseur (The heart of the hunter – 2002) de Deon Meyer, traduit de l'anglais (sud-africain) par Estelle Roudet. Éditions du Seuil – 2005.

 

L ame du chasseur Deon MeyerMonica, la fille de Johnny Kleintjes, l’homme qui, ancien dirigeant des services de renseignements de l’ANC pendant la lutte contre l’apartheid, avait été chargé, à la chute du régime ségrégationniste, d'intégrer les systèmes informatiques et bases de données de l'ANC et de l’ancien gouvernement blanc, est contactée par un groupe d’extrémistes musulmans qui a enlevé son père. En échange de la vie de celui-ci, elle doit leur remettre le disque dur sur lequel il avait copié des informations confidentielles concernant bon nombre de personnes haut placées aujourd’hui. Elle a soixante-douze heures pour se rendre à Lusaka, en Zambie. Dans le coffre de son père, avec le disque dur, elle découvre un message indiquant le nom de quelqu'un à contacter en cas de problème: Thobela «P’tit» Mpayipheli. Monica parvient à joindre celui-ci, un grand noir taciturne d'une quarantaine d'années qui travaille comme homme à tout faire dans un magasin de motos. Ce dernier accepte d’abandonner femme et enfant pour se charger d’apporter lui-même le disque dur, car il considère avoir une dette d’honneur envers son vieil ami. Mais étant donné les secrets détenus par son père, le téléphone de Monica était en permanence sur écoute et les services de renseignements décident d'intercepter le disque dur. Deux policiers se rendent alors à l’aéroport pour y arrêter Thobela. Ce dernier leur échappe et la façon dont il s’y prend met la puce à l'oreille des services secrets qui commencent à enquêter sur le passé de cet homme apparemment tranquille. Et tandis que Thobela "emprunte" une moto à la boutique de son patron pour prendre la route de la Zambie, les services secrets découvrent petit à petit que cet homme est loin d’avoir toujours été le quidam anodin qu'il semble être. La traque s'engage.

 

L'ossature de ce roman est ultra classique: un homme entre en possession d’un Mac Guffin -ici un disque dur contenant des données confidentielles dont, jusqu'au bout, on ne sera pas sûr de la nature- et ne dispose que d’un temps limité pour se rendre dans un lieu de rendez-vous distant de plusieurs milliers de kilomètres tout en devant échapper à une organisation disposant de moyens disproportionnés qui cherche à l’intercepter. Sur la base de cette trame archi familière, voire éculée, le talent de Deon Meyer, c’est que ça marche une fois encore et l’on se prend très vite au jeu!

Et ce d’abord parce qu’il réussit à faire de figures proches du stéréotype des personnages vraisemblables -disons crédibles-, suffisamment en tout cas pour que l’on ne rechigne pas à adhérer à l’histoire.

Au premier rang de ceux-ci, le personnage principal, l’homme traqué, Thobela dont, dès le premier chapitre, on sait qu'avant de devenir ce quarantenaire à l’existence simple, il a eu un passé plus trouble: c'est un ancien soldat du MK (Umkhonto we Sizwe) -la branche armée de l'ANC- qui avait bénéficié d'une formation de haut niveau côté Est du Rideau de Fer pour devenir un tueur au service de régimes soutenant la lutte anti-apartheid. Mais si l’entraînement et les missions qu’il a accomplies en son temps en ont fait un homme peu commun, il est loin aujourd’hui d’être la redoutable machine à tuer qu’il fût, tant physiquement (les années commencent à lui peser) que moralement: il est pris dans des contradictions internes, entre la dette d’honneur contractée envers son ancien camarade de combat et son aspiration à une vie simple, sa volonté d’effacer cette partie létale à l’intérieur de lui-même qui demeure encore vivace. De plus, c’est un homme déçu qu’habite l’amertume de n’avoir pas recueilli, après la chute du régime d’apartheid, les fruits que ses années de lutte lui laissaient espérer.

La traque de Thobela est dirigée à partir de ses bureaux par Janina Mentz, une mère célibataire attentionnée, mais femme efficace, ambitieuse dans son travail et qui ne se satisfait pas des hautes responsabilités au sein des services secrets sud-africains auxquelles elle est pourtant parvenue; et les moyens tant technologiques qu’humains qu’elle met en œuvre sont évidemment sans commune mesure avec ceux dont se débrouille Thobela pour lui échapper.

Son bras armé, menant la chasse sur le terrain, c’est Tiger Mazibuko, un officier militaire à la tête d’une unité spéciale composée d’hommes proches de mercenaires et qui apparaît de prime abord dans la pure tradition du baroudeur avide d’action avant que le développement du récit ne révèle un personnage bien moins rustre.

Enfin, quatrième pôle de cette histoire, les médias, en la personne de la journaliste Allison Healy, une femme plantureuse mais solitaire qui aura incidemment vent de cette chasse à l’homme et dont l’intervention aura bien sûr des conséquences -parfois inattendues- sur son déroulement.

Ces quatre personnages, qui constituent les quatre points de vue principaux de la narration, Deon Meyer les entoure de figures secondaires auxquelles il parvient aussi à donner chair et personnalité propre et dont le rôle sera tout sauf négligeable.

En faisant donc alterner son histoire selon quatre points de vue, Deon Meyer permet une progression par à-coups, sans temps mort. Et on lui sait alors gré, avec une telle construction éclatée, de s’être garder de tout effet de suspense facile, de tout ridicule cliffhanger de fin de chapitre auquel d’autres auraient aisément pu se laisser aller. De façon plus générale, alors que tout dans ce récit le lui aurait permis, Deon Meyer évite la banalité du spectaculaire.

En parallèle au pur déroulement de la traque de Thobela, le roman va petit à petit s’inscrire dans un contexte plus vaste, plus alambiqué, dans lequel on va plonger avec délice; un contexte fait d’espionnage international, avec agents infiltrés, agents doubles, taupes, manipulations, désinformation, pressions; fait de luttes d’influence et de domination dans les arcanes sombres du pouvoir; un contexte dans lequel s’affrontent diverses instances (gouvernement, services secrets, medias), chacune utilisant la fuite de Thobela à des fins propres. Le tout sans que jamais Deon Meyer n’oublie d’incarner ces différentes institutions, de les représenter à travers des personnages épais, élaborés, individualisés. Dès lors, cela lui permet de nous dire que même coincé au cœur d’un système, pris dans une machinerie qui voudrait n’en faire qu’un rouage, l’homme peut encore user de son libre-arbitre, faire des choix qui lui sont propres.

Plus globalement enfin, avec ce simple polar, Deon Meyer parle aussi de la réalité de l’Afrique du Sud, rappelant par exemple que derrière la figure quasi christique de Nelson Mandela se cachaient des acteurs plus discrets, loin de l’angélisme, qui ne répugnaient pas à des actions sombres, inavouables; ou laissant entrevoir la complexité de la situation post apartheid de ce pays où tous les comptes semblent encore loin d’être réglés tant au niveau de ceux qui en sont les nouveaux dirigeants qu’au niveau de ses habitants les plus modestes.

Au final, L’âme du chasseur est un roman intelligemment écrit, rondement mené, solidement personnifié et qui évite les pièges dans lesquels le lecteur aurait pu craindre de le voir tomber (y compris la fin); un roman qui titille notre esprit d’aventure tout en s’inscrivant dans un environnement plus large, proposant quelque éclairage sur le monde. Doit-on demander beaucoup plus à un -très- bon polar?

 

 

* Le titre de cette chronique est piqué à celui d’une chanson de Peter Hammill sur l’album The Future Now (Charisma Records -1978).

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