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13 novembre 2011 7 13 /11 /novembre /2011 10:17

Les voix de l'asphalte (Voices from the street – 1952-53), de Philip K. Dick, traduit de l'anglais (américain) par Nicolas Richard. Philip K. Dick Trust – 2007. Editions Le Cherche Midi – 2007.

 

Les voix de l'asphalte Philip K DickStuart Hadley est un jeune homme qui travaille comme vendeur dans un petit commerce d'appareils électroménagers. Marié, sa femme est sur le point d'accoucher. Alors qu’il semble tout avoir pour être heureux, sa situation le rend profondément insatisfait, sans qu’il en connaisse la cause, et il tente d'évacuer sa frustration par une cuite hebdomadaire. Mais c’est loin de suffire à combler le manque qu’il ressent et il reste habité par une violence enfouie. Un soir, il assiste à la conférence du révérend Beckheim, un évangéliste noir qu’il cherche ensuite à approcher. Et il rencontre Marsha Frazier, une jeune femme rédactrice en chef d’une revue fasciste et se sent attiré par elle.

 

Ce roman -longtemps inédit- est l’un des tous premiers de Philip K Dick, alors qu’il avait encore des velléités de devenir un écrivain de littérature "blanche"; un roman dont la lecture, disons-le d’emblée, ne risque guère d’intéresser que les "ultra-aficionados" de l’auteur.

Car cette histoire de jeune homme perdu, amer, déprimé, inapte au bonheur version american way of life, en quête de quelque chose dont il ignore lui-même la nature, angoisse existentielle le poussant à se jeter dans les bras du premier sauveur venu mais rapidement déçu, qui remet sa vie -qu’il ressent comme une suite de fatalités- en cause et qui finira par une nuit de "pétage de plombs" est une œuvre de jeunesse qui, n'étant la renommée de l’auteur, serait peut-être -en l’état tout du moins- demeurer dans un tiroir. En effet, voilà un récit qui se traîne, extrêmement bavard, délayé, lent, où il ne se passe pas grand’chose et dérivant parfois vers des scènes dont on cherche le lien avec le cœur du propos. De plus, Dick ne parvient pas réellement à nous faire ressentir ni l’état de malaise de Stuart -c’est plus intellectuellement qu’émotionnellement qu’on le perçoit-, ni l’ambiance malsaine de la société plutôt formatée, apeurée, engluée dans les conflits guerriers (la guerre de Corée) et la guerre froide dans laquelle il s’inscrit. Le travail inabouti d’un débutant.

Ceci étant dit, le connaisseur de l’œuvre dickienne va quant même y grappiller ça et là des éléments à même d’éveiller son intérêt.

D’abord dans les transpositions romancées d’éléments biographiques de la propre vie de Dick: comme Stuart, il était, lors de la rédaction de ce livre, vendeur dans une petite boutique (ce qui lui permet de rendre compte la monotonie du quotidien); comme Stuart, Dick racontait qu’un jour -anecdote marquante et reflet des émotions d’une société à une époque- dans un cinéma, aux actualités, il avait vu des images de guerre montrant un soldat japonais en flammes après avoir été "dégommé" par un GI, véritable torche vivante suscitant rires et applaudissements dans la salle alors que lui en était extrêmement choqué; ou encore, dans les relations de Stuart avec sa sœur -dont il semble limite amoureux- transparaît quelque chose du ressenti particulièrement traumatisant chez Dick pour sa propre sœur jumelle morte quelques semaines après sa naissance.

Mais plus encore que ces points relativement secondaires, le "dickophile" trouvera dans ce livre les ébauches d’éléments qui réapparaîtront dans les romans postérieurs de l’auteur. Par exemple, plusieurs protagonistes sont ici des esquisses de figures qui deviendront quasi archétypales dans l’œuvre de Dick: le héros modeste employé pris au cœur d’une situation qui le dépasse ou le patron républicain-paternaliste-humaniste d’une petite entreprise; ou encore le prédicateur charismatique, figure -décevante- du Bien, ou son pendant néfaste, personnage fascisant incapable d’empathie (notion centrale chez Dick). Il pourra même y repérer des indices de l’attirance de Dick pour la SF (la description faite par le révérend Beckheim, lors de sa conférence, des aptitudes des prophètes faisant largement penser à ce qui sera plus tard le pouvoir des "pré-cogs") ou la religion; ou discerner dans la situation d’isolement, au bord de la paranoïa, de Stuart lorsqu’il aura totalement disjoncté un brouillon de ce qui sera celle -plus dramatique- de Jason Taverner dans Coulez mes larmes, dit le policier.

Au final la lecture des Voix de l’asphalte présente essentiellement un intérêt historique pour le dévot "dickolâtre" (dont j’avoue être...). Pour les autres, ignorants de l’œuvre du Maître...

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1 novembre 2011 2 01 /11 /novembre /2011 12:28

Ville noire ville blanche (Freedomland – 1998), de Richard Price, traduit de l’anglais (américain) par Jacques Martinache; Presses de la Cité – 1998; 10/18 - 2002

 

Ville noire ville blanche Richard PriceUne jeune femme blanche, semblant en état de choc, les mains ensanglantées, traverse à pied Armstrong, la cité à population essentiellement noire située à la limite des villes de Dempsey et de Gannon, pour se rendre à l’hôpital le plus proche. Arrivée aux urgences, elle déclare avoir été victime d'un car jacking. Lorenzo Council, un vieux flic noir originaire d’Armstrong, vient interroger la jeune fille. Celle-ci, Brenda Martin, se montre d’abord rétive mais, patient, Council parvient à la faire parler: travaillant à Armstrong pour le Centre d'Études, un programme de soutien scolaire installé dans le sous-sol d’un des bâtiments de la cité, elle y était retournée en voiture en début de soirée, pensant y avoir oublié ses lunettes. Cherchant ensuite un raccourci pour sortir de la cité, elle s'était perdue. Lors d'une manœuvre, elle avait été abordée par un individu noir qui l'avait jetée hors de son véhicule et était parti avec. Council sent que la jeune fille ne lui dit pas tout. Et en effet, elle finit par livrer que sur le siège arrière de la voiture volée dormait son fils de quatre ans, Cody. Council déclenche alors une vaste opération de recherche puis prévient personnellement le frère de Brenda, Danny, qui lui aussi est flic, à Gannon. Les forces de l’ordre des deux villes investissent Armstrong, armés de vieux mandats non exécutés, mettant la cité sous contrôle. A l’écoute permanente des communications radio de la police, les journalistes envahissent à leur tour Armstrong, parmi lesquels Jesse Haus, une jeune freelance qui a grandi dans cette cité. Connaissant Council, elle réussit à approcher Brenda. Pendant ce temps, Armstrong, sous pression, commence à entrer en ébullition. Council, suspicieux, est quant à lui persuadé que quelque chose ne colle pas dans l'histoire de Brenda.

 

Dans ce roman, il y a un délit, une victime, des flics, une enquête, des suspects (il y a même écrit "domaine policier" sur la couverture de l'édition de poche). Pour autant, on n’a nullement affaire ici à un polar. Le fait divers d'origine -le vol de la voiture et la disparition de l'enfant- n'est en effet qu’un prétexte/catalyseur pour révéler au grand jour un état de tension lourde préexistant entre la cité de Armstrong et les villes qui la cernent.

Armstrong, c’est un semi ghetto coincé entre Dempsey et Gannon-la-blanche: "Chaque fois qu'il passait la frontière, Lorenzo était frappé par le changement abrupt de paysage, un simple feu rouge le transportant instantanément d'un monde de magasins abandonnés et de cités au bout du rouleau à un univers de façades en aluminium et de boutiques. Ce qui ne manquait jamais de l'énerver, à Gannon, c'était les agences de voyage: au moins deux par pâté de maisons, jamais très grandes, et offrant toutes les réductions habituelles pour la Floride, l'Italie et divers ports de plaisance des Caraïbes. Au contraire des rares agences de Armstrong, ou de D-Town, qui proposaient des vols pour la république Dominicaine, Porto-Rico, la Jamaïque et le Guyana. Lorenzo voyait dans ces destinations une différence fondamentale entre les communautés: à Gannon, quand on prenait l'avion, c'était le plus souvent pour partir en vacances; à D-Town, c'était pour rentrer au pays."

En se saisissant de ce qui arrive à Brenda Martin comme d’une opportunité pour "s’attaquer" à Armstrong, la police va exacerber la colère sous-jacente de ses habitants qui finira par éclater.

Cette montée en tension, Richard Price va la faire vivre au lecteur à travers trois principaux personnages: D’abord Lorenzo Council, le flic premier en charge de cette affaire. Ce vieux black au passé de délinquant a grandi dans Armstrong et en connaît bien les résidents. Paternaliste (tout le monde l’appelle "big daddy"), posé, réfléchi, ne se laissant pas aller à ses impulsions. Mais d’emblée, il est placé au cœur d’une ambiguïté: à la fois garant du maintien de l’ordre dans Armstrong, prévenant des débordements quotidiens, mais aussi lié personnellement, intimement à ce lieu et à ses habitants, partie prenante de cette communauté. Si cette situation "le cul entre deux chaises" lui permet généralement de jouer les tampons modérateurs, d’être -plus ou moins à son insu- une sorte de soupape de sécurité contenant Armstrong dans les limites du tolérable, l’ampleur que prendra l’affaire Brenda Martin va le dépasser, le déborder et se colorer d’une teneur sociale qui mettra à mal sa neutralité et l’obligera -un temps- à choisir son camp.

L’ambiguïté, elle est aussi présente dans le personnage de Jesse Haus, la jeune journaliste freelance. Cette fille de militants communistes parmi les derniers blancs à être restés vivre dans Armstrong, bien qu’étant parvenue à s’extraire de la cité, y reste fondamentalement attachée. Ambitieuse et mal dans sa peau, au contact de Brenda, l’empathie qu’elle va éprouver pour la jeune fille l’amènera elle aussi à se remettre en cause.

Tout au long du roman, ces deux-là tâcheront de ne pas lâcher Brenda (au propre comme au figuré).

Brenda Martin, une fille-mère à la jeunesse paumée, rebelle contre sa famille, au passé erratique (elle fut un temps membre d’une secte new age), elle aussi tiraillée par des forces contradictoires que sont son origine sociale -une famille blanche aisée à la limite du racisme qui l’a rejetée- et ses sentiments, ses positions plus libérales (au sens américain du terme), bouffée de culpabilité. Vite emportée, balayée, submergée par la tempête qu’elle a déclenchée, de plus en plus mutique, elle se laissera trimballer de reconstitutions en lieux de repos, paniquée au coeur du maelström, se protégeant/se réfugiant dès qu’elle le peut sous les écouteurs de son casque à l’écoute de musique black.

Car autour de ces trois-là, l’agression dont Brenda déclare avoir été victime a suscité des réactions, des interventions qui vont engendrer une tornade dans Armstrong:

Il y aura d’abord celle des flics, dont ceux, blancs, plus ou moins ouvertement racistes, de Gannon qui vont mettre Armstrong sous blocus, arrêtant, contrôlant tout le monde, pénétrant les domiciles, interdisant toute sortie de la cité. Parmi eux, Danny, le frère de Brenda, qui n’éprouve aucune affection pour sa sœur et dont l’apparition façon "cow-boy" laisse à penser qu’il se conforme plutôt à un rôle qu’il se serait lui-même attribué (on doute même qu’il éprouve un sentiment pour son neveu).

Il y aura les journalistes, omniprésents, caméras à l’affût, mi-armée d’occupation, mi-meute de chiens de chasse; ou maladie: "(...) le lendemain, le débarquement médiatique avait de nouveau multiplié ses métastases."

Il y aura encore les "Amis de Kent", association privée spécialisée dans la recherche des enfants disparus, avec à leur tête l’incroyable figure de Karen Collucci; un groupement lui aussi empreint d’équivoque qui se livrera à un ahurissant show à l’américaine/coup de pub avant d’entreprendre ses recherches, mais hyper organisé -quasi paramilitaire-, compétent, efficace; mais aussi capable d’user de méthodes tenant de la torture psychologique et qui pourtant aboutiront à la vérité.

Il y aura également les organisations militantes de la cause noire avec à leur tête des pasteurs qui viendront haranguer les habitants d’Armstrong, mettant en lumière le racisme à l’origine de la situation de la cité ("que personne n’avouait appeler Darktown"), mais prêts à tout pour faire entendre leurs revendications, défenseurs d’une cause juste utilisant et canalisant la colère des habitants de la cité pour leurs propres fins, quelles qu’en puissent être les conséquences. Ainsi, à propos de la marche de protestation qu’ils veulent organiser:

"-Pourquoi il faut absolument que ce soit ce soir? demanda Council (…)

-(...) Parce que ce sera pire ce soir qu'hier. Vous savez bien que cette fois la police ne restera pas l'arme au pied. En plus, il y aura toutes ces caméras, tous ces reporters. Il faut battre le fer pendant qu'il est chaud.

- Pendant qu'il est chaud, marmonna Council qui commençait à avoir les boules. Et si quelqu'un est blessé? Un jeune...

- Il sera blessé devant les caméras."

Enfin, il y aura les habitants de Armstrong eux-mêmes, pauvres et sans cesse sous pression qui se retrouveront parqués dans leur propre cité mais qui, à la fois victimes et coupables, n’ont rien de purs innocents (tous savent ainsi qui a assassiné, un an auparavant, un couple de vieillards pourtant apprécié dans Armstrong, mais tous se taisent). Leur révolte, leur colère sera brouillonne, désespérée, impuissante, leur frustration les amenant à mettre le feu à un stock de réfrigérateurs pourtant destiné à leurs propres familles.

Chaque groupe tire de son côté, joue sa propre partition et tous, d’une manière ou d’une autre, utilisent le drame de Brenda; et peu leur importe in fine la vérité!

Finalement, il y aura Freedomtown (voir le titre original du livre), le lieu de la révélation. Council mènera Brenda une nuit dans ce parc d’attractions à l’abandon depuis des années où pourrissent des reconstitutions grandeur nature de l’histoire américaine et livrera à la jeune fille les espoirs déçus de sa jeunesse dans cet endroit devenu un cimetière du rêve américain.

Impossible pour terminer de rendre compte comme il conviendrait de l’ample galerie des personnages totalement véridiques qui peuplent ce roman (le médecin des urgences, Ben le frère un peu étrange et mystérieux de Jesse Haus, Félicia Mitchell la responsable du programme d'études, Billy son compagnon ex-trader au chômage qui s’est construit un refuge au cœur de son appartement; ou tous les autres habitants de Armstrong, simples mères de familles ou petits délinquants; ou les inquiétants membres des "Amis de Kent" ou le collègue de Council dont le fils doit faire sa première apparition TV le soir du drame; et bien d’autres encore), ni des multiples scènes inoubliables et parfois hallucinantes -et qui paraissent tellement américaines- auxquelles on assiste, telles le show inouï des "Amis de Kent" avec discours, exposition d’handicapés aux premiers rangs, distribution d’équipement et lâché de ballons final; ou la marche de protestation menée par les pasteurs noirs dans les rues de Gannon dont les habitants, sur le pas de leur porte, regardent le passage comme s’il s’agissait d’un défilé ou d’une parade festive.

Dans ce roman, Richard Price fait preuve d’un sens exacerbé de la description, tant des lieux que des personnages, brossant des portraits réalistes, profonds, complexes, avec des dialogues marqués du sceau de la véracité, s’attachant à des gestes, des mimiques révélatrices d’un état d’esprit, le tout servi par une écriture au rythme lent, longues phrases qui soudain, au détour d’une virgule, assènent un détail évocateur, révélateur. Ce livre qui a quelque chose de la cartographie sociologique dresse un tableau terriblement désespérant d’une certaine Amérique urbaine (seulement d’une Amérique?); une œuvre puissante, marquante, qui tient de la tragédie classique (on n’est pas loin d’avoir une unité de temps, de lieu et d’action) où, contrairement au titre français, rien n’est ni tout noir, ni tout blanc.

Et à la fin, Lorenzo Council, lui, va continuer son boulot.

 « (..) Lorenzo haussa les épaules. Longway avait raison. Aucun doute. Mais il fallait bien faire face. Au quotidien. »

 

D'autres chroniques de ce roman sur Polarnoir et chez Gridou

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8 janvier 2011 6 08 /01 /janvier /2011 07:32

Oncle dynamite (Uncle Dynamite - 1948) de Pelham Grenville Wodehouse, traduit de l’anglais par Josette Raoul-Duval. Editions 10-18 – 1989.


Oncle-dynamite_PG-Wodehouse.GIFDans le train qui le ramène de Londres à sa demeure campagnarde, Lord Ickenham, un sémillant sexagénaire, fait la connaissance de Bill Oakshott, un jeune homme timide de retour chez lui après une expédition au Brésil où il était parti pour tenter d’oublier –en vain- sa cousine Hermione, fille de Sir et Lady Aylmar Bostock, dont il est depuis longtemps amoureux en secret. Les Bostock se sont installés à Ashenden Manor, la résidence de Bill Oaskshott, lorsque Bill, encore tout jeune enfant, a perdu ses parents, et ne l’ont plus quitté depuis, Bill n’osant pas les en chasser. Bill est un ancien camarade de classe du neveu de Lord Ickenham, Reginald –Pongo- Twistleton qui, coïncidence (!), est justement le fiancé officiel de Hermione. Ce dernier est lui aussi à Ashenden Manor, en visite afin d’y rencontrer ses futurs beaux-parents. Lors de son séjour, Pongo, nerveux, brise malencontreusement un buste de Sir Aylmar. Pour le remplacer, il se rend discrètement chez son oncle Lord Ickenham et celui-ci lui donne un buste de substitution. Plus tard, profitant d’un voyage à l’étranger de sa femme, Lord Ickenham retourne à Londres dans l’idée d’y prendre du bon temps et déjeune avec l'ex-fiancée de Pongo, Sally Painter, une jeune sculptrice américaine. Les deux jeunes gens ont rompu parce que Pongo a refusé de passer en fraude aux Etats-Unis les bijoux d’une amie de Sally. Mais Sally a depuis trouvé une autre astuce: cacher les bijoux dans une de ses sculptures, un buste, justement celui qu’elle a confié à Lord Ickenham... et qui se trouve désormais chez les Bostock. Se faisant passer pour le major Plank, le responsable de l’expédition sud-américaine de Bill Oakshott, et prétextant de remplacer ce dernier en tant que juge du concours du plus beau bébé du village près de Ashenden Manor, Lord Ickenham décide de s’inviter chez les Bostock pour y récupérer les bijoux.

 

On l’aura sans doute déjà compris, on a affaire ici à quelque chose qui s’apparente à un vaudeville, impression d’une situation théâtrale que renforcent les très nombreux dialogues et le déroulement en un lieu quasi unique, Ashenden Manor, du livre.

Voici donc un roman/comédie avec des lords et des ladies, des jeunes gens riches et bien élevés, oisifs et pusillanimes, des jeunes filles dégourdies et pleines d’esprit d’initiative, des majordomes, un major, un ex-gouverneur de colonie, etc.; et voici une histoire d’amours contrariées, de quiproquos et de fausses identités...

Evidemment, les personnages sont caricaturaux et l’histoire cousue de fil blanc. En fait, censé se dérouler dans le milieu aristocratique de la campagne anglaise du début du XXe siècle, c’est plutôt une Angleterre fantasmatique, une espèce d’Angleterre "angleterrissime" dont il s’agit!

Pourtant, on pourra se laisser aller à y goûter à un certain charme désuet; parce dans le fond, Wodehouse se moque de cette Angleterre guindée et ridiculise cette classe supérieure aux rites d’un autre temps et au mépris facile; et parce que le style de l’auteur est léger, son écriture enjouée, enlevée, pleine de traits d’un humour un peu suranné et de réparties un rien ironiques. Ainsi est racontée la rencontre inaugurale entre lord Ickenham et Bill Oakshott :

"- Hum, excusez-moi ! N’êtes-vous pas Lord Ickenham ?

- Lui-même.

- Epatant !

Le vieux gentleman parut surpris.

- J’en suis moi-même assez satisfait, reconnut-il. Mais pourquoi vous réjouissez-vous ?

- Eh bien, si ça n’avait pas été vous !... dit le jeune homme, et il s’arrêta, le souffle coupé à la pensée des conséquences affreuses qu’aurait pu entraîner le fait licencieux d’adresser la parole à un inconnu. Ce que je veux dire... c’est que... je vous ai été présenté autrefois, il y a des années. J’étais un camarade de votre neveu Pongo et je venais quelquefois jouer au tennis chez vous. Vous m’avez une fois donné cinq louis.

- C’est comme ça que l’argent file.

- Je suppose que vous en vous souvenez pas de moi : Bill Oakshott.

- Bien sûr je me souviens de vous, cher ami, dit lord Ickenham avec chaleur, mentant sans sourciller. Si seulement j’avais autant de billets de banque que de fois où j’ai dit à ma femme « Mais que devient donc Bill Oakshott ? »...

- Non, vraiment ? Epatant. Comment va lady Ickenham ?

- Très bien.

- Epatant ! Elle m’a une fois donné deux louis.

- Vous remarquez que, d’une façon générale, les femmes les lâchent moins facilement que les hommes. Cela a quelque chose à voir avec la structure des os du crâne (...)".

Alors on se laissera séduire par le personnage pivot du roman, Lord Ickenham, qui prétend vouloir "apporter la joie et la lumière" autour de lui, ce menteur imaginatif et plein d’aplomb, imbu de lui-même, élégant, ne se départissant à aucun moment de son flegme, vif, plein d’esprit, charmeur et aux yeux de qui nulle situation n’est insoluble; un personnage auquel on aurait volontiers prêté les traits de David Niven.

Ne mégottons pas sur les clichés: ce livre pourra être une plaisante lecture pour un après-midi pluvieux où l’on se serait confortablement installé dans un vieux fauteuil club, à boire du thé accompagné d’un peu de brandy tout en grignotant quelques petits sandwiches au concombre.

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15 octobre 2010 5 15 /10 /octobre /2010 11:13

Les cafards n’ont pas de roi (The roaches have no king – 1994) – Daniel Evan Weiss, traduit de l’anglais (américain) par Marie-Lise Marlière.

 

Les cafards n'ont pas de roi Daniel Evan WeissUne colonie de cafards prospère depuis des années dans l’appartement new-yorkais de l’avocat Ira Fishblatt et sa compagne, la Gitane, cette dernière ayant une propension à être plutôt désinvolte dans le nettoyage de la cuisine. Mais un soir, une dispute plus grave que les précédentes entraîne le départ de la Gitane. Quelques temps après, elle est remplacée par Ruth. Celle-ci se montre plus soigneuse dans la préparation des repas et pousse Ira à renouveler les meubles de la cuisine. Non seulement la colonie se retrouve alors sevrée de déchets, mais de plus, les placards regorgeant de nourriture deviennent inaccessibles. Nombres, un cafard qui a grandi dans la bibliothèque de Ira (plus précisément dans La Bible), repère un trou à l’arrière de l’un placard qui permettrait à la colonie d’avoir de nouveau accès à sa subsistance. Mais ce trou est obstrué par un rouleau des billets qu’Ira se réserve pour les mauvais jours. Nombres ourdit un plan qui obligerait Ira à déplacer ce rouleau.

 

Ce livre de Weiss se veut une de fable se moquant des comportements des habitants des villes à travers le regard que pose dessus une espèce à l’origine bien plus lointaine dans l’histoire: les cafards. De ce point de vue, c’est une semi réussite.

En effet, les conduites humaines raillées ne sont pas toujours très loin du cliché (les noirs du ghetto par exemple).

Toutefois, par bien des aspects, ce livre fait sourire: ainsi le nom des cafards (Clausewitz, Barberousse, Rosa Luxembourg, Bismark, ...) dont le langage et le comportement sont marqués par la lecture de l’ouvrage dans lequel ils ont débuté leur existence. De même on s’amusera de la description du difficile et humiliant coït entre Nombres (blattella germanica) et une énorme blatte de l'appartement voisin –quatre fois plus haute et trente fois plus lourde- appartenant à une espèce différente (periplaneta americana); de l’audacieuse (tant de la part de Nombres que de l’auteur!) visite nocturne des organes sexuelles de deux femmes endormies (femmes dont malheureusement certaines caractéristiques seront proches à nouveau du cliché: d’un côté la jolie blonde Wasp frigide et corsetée, de l’autre l’intellectuelle juive gironde aux senteurs enivrantes), exploration dont la motivation première de simple "contrôle scientifique" sera vite reléguée au second plan, Nombres s'avérant particulièrement réceptif aux arômes féminins et passant alors d’observateur à acteur efficace. Incidemment, on y apprendra également, entre autres, la réalité sur la disparition des dinosaures (et le rôle décisif tenu par les blattes), comment se repérer dans les égouts de New York grâce aux effluves des déchets culinaires différenciant chaque quartier de la ville, on assistera à un peu de cannibalisme "blattien" et, parmi de nombreuses références bibliques (origine de naissance oblige), on suivra un cafard nommé Exodus en Moïse blattella germanica guidant son peuple vers un pays de lait et de miel.

Quant à la fin du roman, elle révèlera un Nombres transformé par ses aventures et plutôt radical.

Au final, on sort de ce livre d’une plaisante lecture avec un sentiment mitigé: le but satirique ne semble pas parfaitement atteint, mais on aura volontiers souri, outre l’originalité des protagonistes, de beaucoup des nombreuses péripéties hautes en couleurs que traverse l’astucieux Nombres.

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8 juillet 2010 4 08 /07 /juillet /2010 11:47

Flight (id. – 2007) de Sherman Alexie, traduit  de l’anglais (américain) par Michel Lederer.

 

flight sherman alexieSpots est un jeune délinquant de Seattle, d'origine mi-irlandaise, mi-indienne, le visage piqué de boutons d’acné (d’où son surnom), baladé de foyers en maisons d’accueil depuis l’enfance. Un jour, il se lie d’amitié avec  Justice, un autre jeune comme lui à la dérive. Ensemble, ils braquent une banque et Spots prend une balle dans la tête. Avant que son corps ne touche le sol, il part dans un étrange voyage dans le temps et dans l’espace qui lui fera revivre des moments-clef de l’histoire des indiens d’Amérique et de l’histoire de ses origines familiales.

 

Les premiers romans de Sherman Alexie (Indian Blues, Indian Killer) étaient déjà vraiment très très bons. Ce Flight est encore meilleur.

Ce livre, c’est d’abord une sacrée secousse d'émotions. En à peine 200 pages, cette ballade par sauts d’un lieu et d’un temps à un autre nous trimballe surtout dans un vaste registre de sentiments : on ressent haine, désir de vengeance, culpabilité, miséricorde, compassion, peur, colère, solitude, amour, trahison, besoin de respect, rédemption... ouf!  On ressort épuisé de cette lecture.

Epuisé, bourneboulé, mais surtout enthousiasmé par la qualité de l’ouvrage.

Toute l’histoire -les histoires- nous est contée à travers le regard, les pensées de Spots. L’écriture de Sherman Alexie est proche du langage parlé, simple, lisible, sans fioritures ; et sans une once de pathos : le destin de Spots est pitoyable –et écrit d’avance-, mais lui ne s’apitoie pas sur son sort. ; il est Spots/Spotsman ("Je suis Spotsman, le maître de l’univers"), coincé dans un corps, une vie qu’il ne maîtrise en rien, réagissant aux évènements plus qu’agissant, cherchant avec une inépuisable énergie simplement à s’en tirer. Il lui faudra passer par d’autres corps, d’autres vies dont il devra prendre le contrôle ; désorienté, il lui faudra creuser, chercher –et souvent très rapidement compte tenu des situations dangereuses qu’il traverse- au fond de lui-même afin d’y trouver les ressources de sa survie pour finalement réussir à se débarrasser de la peau grêlée de Spots, accepter son véritable nom et devenir enfin lui-même. Car la question du livre est là : avec sur les épaules l’écrasant fardeau de sa propre histoire familiale et celui de l’Histoire (ici, l’Histoire sanglante des nations indiennes), comment parvient-on à devenir soi-même ?

Alors si le principe du livre peut dérouter dans un premier temps, s’attacher à une forme de logique (Spots revoit-il non pas sa vie, mais celle de sa famille, de ses ancêtres dans les quelques secondes qui précèdent sa mort ? Ou tout cela, y compris le braquage de la banque, est-ce simplement un rêve ? Où tombe-t-il dans un trou de l’espace-temps ? Ou....) serait faire preuve d’une ridicule et mesquine étroitesse d’esprit, et passer totalement à côté de ce roman. Peu importe comment Spots se retrouve soudain à Little Big Horn ou dans la peau d’agent du FBI ou dans celle de son propre père : l’intensité de ce que Spots vit et nous fait vivre est telle qu’elle ne nécessite aucune justification rationnelle. Laissez tomber tout cynisme, tout détachement, tout regard hautain, plongez dans ce livre, plongez dans la vie/les vies de Spots sans retenue et laissez s’exprimer vos émotions..

 

Site de Sherman Alexie (en anglais)


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29 juin 2010 2 29 /06 /juin /2010 12:06

Le bout du rouleau (The ultimate good luck - 1981), de Richard Ford, traduit de l'anglais (américain) par Brice Matthieussent.


le bout du rouleau richard fordHarry Quinn, un Viet’ Vet’ d’une trentaine d’années (le livre se déroule probablement dans les années 70), est à Oaxaca, petite ville du Mexique, pour essayer de faire sortir de prison Sonny, tombé pour trafic de cocaïne. Rae, sa femme/ex-femme et sœur de Sonny, le rejoint avec l’argent nécessaire pour acheter qui il se doit (procureur, etc.) afin de faire libérer Sonny.


Ne pas trop se fier à cette trame, on n’a pas affaire ici à un polar, (trois lignes de plus suffiraient presque à résumer toutes les péripéties de l'intrigue).

En fait, l’intérêt du livre est dans le personnage de Quinn et dans la façon dont Richard Ford, par son écriture et son style, nous fait ressentir ce personnage : sans analyse, sans introspection, il nous montre un Quinn qui ne manifeste plus d’émotion devant l’horreur, se laisse conduire par Bernhardt (littéralement et métaphoriquement) -un avocat local au rôle ambigu censé l’aider à faire sort faire sortir Sonny-, un Quinn qui "décroche" souvent de l’instant présent (nombreux flash-back, mais peu de la guerre du Vietnam), paraît sans cesse être dans sa bulle à observer les paysages, la ville, les gens, se focalisant sur des détails comme pour s’accrocher au présent. Il est plongé dans une histoire qu’il ne maîtrise pas (les relations et actions des autres personnages, et leur impact sur le déroulement des évènements, ne sont pas clairement données, comme pour dérouter le lecteur de la même façon que l’est Quinn). Il y a peu d’allusions directes au Vietnam, comme si Quinn ne voulait plus y penser, pourtant tout dans le livre semble montrer un personnage traumatisé par la guerre, au bout du rouleau. Quinn finira par agir/réagir (par prendre sa vie en mains ?) grâce à une Rae dont on sent petit à petit l’importance : à la dernière page, c’est elle qui posera deux fois la même question à Quinn : « Tu te crois maintenant assez mûr pour vivre ta vie ? », ajoutant la seconde fois « sans protection ».

L’écriture de Richard Ford est subtile et ne cherche en rien à la happer le lecteur, à le tenir en haleine ; un "anti-thriller" qui ne se donne pas d’emblée, qui ne se lit pas d’une traite (malgré sa brièveté : 240 pages), mais demande le relatif effort de s’installer dans la lecture.

Pour celui qui découvrirait l’auteur par ce livre, ce 2ème roman publié par Ford n’incite pas à immédiatement se ruer sur le reste de son œuvre. Pourtant, il est suffisamment marquant pour qu’après avoir séjourné quelques semaines au fond de la mémoire, il suscite immanquablement l’envie de retrouver l’écriture de Richard Ford à travers un des ses romans plus ambitieux.


Richard Ford sur Wikipedia france


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