L'ange déchu (Fallen angel – 1965) de Howard Fast, traduit de l'anglais (américain) par Mme Tesnières.
David Stillman est un technicien commercial qui calcule le prix de revient de produits pour une entreprise située dans un gratte-ciel de New York. Un jour, en fin d'après-midi, se produit une coupure de courant. David quitte son poste au vingt-deuxième étage et entreprend de descendre dans le noir par les escaliers du building. En chemin, une troublante inconnue, qui semble pourtant le connaître, l'aborde et lui déclare que le responsable de la panne est un certain Vincent, puis disparaît par les sous-sols de l'immeuble. Dans la rue, David est attiré par un rassemblement de badauds et de policiers autour du corps d'un homme, un ponte de l'industrie et familier des hautes sphères de l'État qui s'est apparemment suicidé en se jetant du haut de la tour. Parvenu à son appartement, David y trouve un gros-bras armé se disant envoyé par Vincent qui lui intime l'ordre de partir pour la Hongrie, lui fournissant les papiers nécessaires. David parvient à mettre l'autre dehors à coup de poings. Mais les évènements étranges et inexplicables se multipliant ensuite autour de lui, David commence à se demander s'il n'est pas en train de devenir fou.
Voilà un roman qui a l’air au départ d’un petit polar plutôt sympathique rappelant furieusement certains films d'Alfred Hitchcock: un homme ordinaire se retrouve au milieu d'une série d'évènements dont le sens lui échappe et doit sans cesse fuir devant des poursuivants sans savoir pourquoi on le traque ; hitchcockien en diable également sera le mac guffin'. Un livre qui fleure donc bon les années 50-60 et nous plonge dans une intrigue qui prend le lecteur et le tient en haleine, et ce malgré une trame par moments un peu cousue de fil blanc et quelques scènes dont la cohérence ne paraît pas évidente (mais il faudrait voir quelle est la part due à la traduction, tant celle-ci ne semble pas toujours optimale).
Mais au-delà, au cours du récit, l'auteur insiste de plus en plus sur le ressenti de son personnage principal, à savoir la peur. Et alors, petit à petit, on réalise, pour peu que l'on connaisse un minimum la vie d'Howard Fast, qu'il parle de ses propres sentiments et de ses propres émotions, éprouvés lorsqu'il s'est retrouvé dans le collimateur de la Commission des Activités Anti-américaines du sénateur Mac Carthy. Ce qu’il nous fait partager alors, c’est l'angoisse d'être seul, traqué, interrogé, poursuivi par une entité protéiforme, la frayeur d’être pourchassé par une "instance supérieure" alors que l’on n’a commis aucune faute. Ainsi, c’est sans doute plus Howard Fast lui-même que David Stillman qui dit: "Nous étions humains, naguère, bons et affectueux, pleins de tendres pensées et de tendres espoirs. Mais des hommes terribles étaient intervenus dans nos vies avec leurs redoutables méthodes. (...)".
Dans les derniers chapitres, Howard Fast l'homme de gauche va plus loin: toujours à travers Stillman, il cherche à mettre en garde le lecteur contre ces hommes de pouvoir au charisme fascinant/fascisant qui, que ce soit du haut de leur building/tour d'ivoire, depuis une tribune ou à travers un écran de télévision, exercent leur puissance en ne considérant le reste de l'humanité que comme quantité négligeable évaluable essentiellement en terme de coûts/bénéfices: "(…) Il m'a donc parlé. Il m'a donné une leçon sur le calcul de prix de revient. Il connaissait tout cela sur le bout des doigts... le prix minimum de la destruction de la vie humaine. Si on considérait le prix de revient, en effet, ce gaz battait la bombe atomique à plate couture (…)". Et plus loin: "J'aurai donné ma vie pour lui. Mais il me demandait davantage. Il est allé jusqu'à me donner une leçon de choses. Il m'a appelé auprès de lui... la voix était la même, l'homme n'avait pas changé, et je crois qu'alors encore, j'aurais pu volontiers sauter par cette fenêtre, si ma mort avait pu être utile. Mais ce n'était pas pour ça qu'il m'avait appelé. C'était pour regarder les passants, pour les regarder du vingt-deuxième étage. Ce n'étaient que des petits points noirs et nous, nous étions des géants. En bas, il y avait les fourmis, des fourmis, sans plus. On foule la terre, et, si on écrase un univers de fourmis, on ne s'arrête pas pour autant. On poursuit sa route (…)".
Selon Howard Fast, existaient donc dans les années 60 des hommes de pouvoir aux yeux de qui la vie des autres êtres humains pouvait n’être rien de plus que des chiffres, une chose qui se calcule, s'évalue, s’estime uniquement en fonction de ce qu’elle coûte et de ce qu’elle rapporte. Ces hommes ont-ils aujourd’hui disparu ou bien au contraire... ?