Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
31 août 2010 2 31 /08 /août /2010 13:38

L'ange déchu (Fallen angel – 1965) de Howard Fast, traduit de l'anglais (américain) par Mme Tesnières.

 

l'ange déchu_howard fastDavid Stillman est un technicien commercial qui calcule le prix de revient de produits pour une entreprise située dans un gratte-ciel de New York. Un jour, en fin d'après-midi, se produit une coupure de courant. David quitte son poste au vingt-deuxième étage et entreprend de descendre dans le noir par les escaliers du building. En chemin, une troublante inconnue, qui semble pourtant le connaître, l'aborde et lui déclare que le responsable de la panne est un certain Vincent, puis disparaît par les sous-sols de l'immeuble. Dans la rue, David est attiré par un rassemblement de badauds et de policiers autour du corps d'un homme, un ponte de l'industrie et familier des hautes sphères de l'État qui s'est apparemment suicidé en se jetant du haut de la tour. Parvenu à son appartement, David y trouve un gros-bras armé se disant envoyé par Vincent qui lui intime l'ordre de partir pour la Hongrie, lui fournissant les papiers nécessaires. David parvient à mettre l'autre dehors à coup de poings. Mais les évènements étranges et inexplicables se multipliant ensuite autour de lui, David commence à se demander s'il n'est pas en train de devenir fou.

 

Voilà un roman qui a l’air au départ d’un petit polar plutôt sympathique rappelant furieusement certains films d'Alfred Hitchcock: un homme ordinaire se retrouve au milieu d'une série d'évènements dont le sens lui échappe et doit sans cesse fuir devant des poursuivants sans savoir pourquoi on le traque ; hitchcockien en diable également sera le mac guffin'. Un livre qui fleure donc bon les années 50-60 et nous plonge dans une intrigue qui prend le lecteur et le tient en haleine, et ce malgré une trame par moments un peu cousue de fil blanc et quelques scènes dont la cohérence ne paraît pas évidente (mais il faudrait voir quelle est la part due à la traduction, tant celle-ci ne semble pas toujours optimale).

Mais au-delà, au cours du récit, l'auteur insiste de plus en plus sur le ressenti de son personnage principal, à savoir la peur. Et alors, petit à petit, on réalise, pour peu que l'on connaisse un minimum la vie d'Howard Fast, qu'il parle de ses propres sentiments et de ses propres émotions, éprouvés lorsqu'il s'est retrouvé dans le collimateur de la Commission des Activités Anti-américaines du sénateur Mac Carthy. Ce qu’il nous fait partager alors, c’est l'angoisse d'être seul, traqué, interrogé, poursuivi par une entité protéiforme, la frayeur d’être pourchassé par une "instance supérieure" alors que l’on n’a commis aucune faute. Ainsi, c’est sans doute plus Howard Fast lui-même que David Stillman qui dit: "Nous étions humains, naguère, bons et affectueux, pleins de tendres pensées et de tendres espoirs. Mais des hommes terribles étaient intervenus dans nos vies avec leurs redoutables méthodes. (...)".

Dans les derniers chapitres, Howard Fast l'homme de gauche va plus loin: toujours à travers Stillman, il cherche à mettre en garde le lecteur contre ces hommes de pouvoir au charisme fascinant/fascisant qui, que ce soit du haut de leur building/tour d'ivoire, depuis une tribune ou à travers un écran de télévision, exercent leur puissance en ne considérant le reste de l'humanité que comme quantité négligeable évaluable essentiellement en terme de coûts/bénéfices: "(…) Il m'a donc parlé. Il m'a donné une leçon sur le calcul de prix de revient. Il connaissait tout cela sur le bout des doigts... le prix minimum de la destruction de la vie humaine. Si on considérait le prix de revient, en effet, ce gaz battait la bombe atomique à plate couture (…)". Et plus loin: "J'aurai donné ma vie pour lui. Mais il me demandait davantage. Il est allé jusqu'à me donner une leçon de choses. Il m'a appelé auprès de lui... la voix était la même, l'homme n'avait pas changé, et je crois qu'alors encore, j'aurais pu volontiers sauter par cette fenêtre, si ma mort avait pu être utile. Mais ce n'était pas pour ça qu'il m'avait appelé. C'était pour regarder les passants, pour les regarder du vingt-deuxième étage. Ce n'étaient que des petits points noirs et nous, nous étions des géants. En bas, il y avait les fourmis, des fourmis, sans plus. On foule la terre, et, si on écrase un univers de fourmis, on ne s'arrête pas pour autant. On poursuit sa route (…)".

Selon Howard Fast, existaient donc dans les années 60 des hommes de pouvoir aux yeux de qui la vie des autres êtres humains pouvait n’être rien de plus que des chiffres, une chose qui se calcule, s'évalue, s’estime uniquement en fonction de ce qu’elle coûte et de ce qu’elle rapporte. Ces hommes ont-ils aujourd’hui disparu ou bien au contraire... ?

Partager cet article
Repost0
27 août 2010 5 27 /08 /août /2010 15:12

Treme – saison 1 (2009-2010 - 10 épisodes) - série créée par David Simon et Eric Overmyer, avec Wendell Pierce, Khandi Alexander, Mélissa Léo, John Goodman, Kim Dickens, Steve Zahn, Clarke Peters.

 

treme saison 1Treme, du nom d'un quartier de la Nouvelle-Orléans, s'attache à suivre, trois mois après le passage dévastateur de l'ouragan Katrina, le quotidien de quelques habitants de la ville: Antoine Baptiste, un tromboniste désargenté qui court le cachet et réside dans une modeste maison avec femme et bébé. Il est le père de deux autres grands garçons qu'il a eus d'un précédent mariage avec LaDonna. Celle-ci vit entre Bâton-Rouge, où habitent ses enfants et son nouveau mari, et La Nouvelle-Orléans, où elle gère un bar. Elle est à la recherche de son frère Daymo, disparu suite à l'ouragan, et est aidée et soutenue en cela par Toni Bernette, une avocate des droits civiques. Cette dernière est la femme de Creighton Bernette, un universitaire enseignant la littérature, écrivain en panne d’inspiration et fervent défenseur de la ville et de sa culture. Janette Desautel est un chef qui se débat pour maintenir à flot son restaurant. Elle est plus ou moins la petite amie de Davis Mac Alary, animateur radio et musicien, admirateur passionné et thuriféraire exalté de la musique locale. Albert "Big Chief" Lambreaux est un irascible mais respecté chef "indien" qui, revenant à la Nouvelle-Orléans, a trouvé sa maison dévastée et s’est installé dans un bar abandonné pour y rassembler sa tribu et y façonner les costumes de sa parade. Son fils, qui vit à New-York, est un trompettiste de jazz réputé. Annie et Sonny enfin, sont deux jeunes musiciens des rues.

 

A travers cette galerie de personnages en butte à des galères quotidiennes, Simon et Overmyer (à qui l'on devait déjà l'excellente série The Wire) montrent le prix énorme que paient les habitants de La Nouvelle-Orléans, ces résidents d'une ville en partie dévastée où des ruines se rencontrent à chaque coin de rue et où les maisons qui tiennent encore debout ont perdu leur toit ou ne sont bien souvent plus raccordées à l'eau et/ou à l'électricité. Cette série, très réaliste dans les détails et évitant plutôt les images convenues/clichés, même si elle peut sembler parfois leur porter un regard quelque peu idéalisé, est d'abord un hommage aux habitants de la Nouvelle-Orléans, à leur vitalité, à leur débrouille, leur solidarité, leur énergie, à leur amour pour une ville qu'ils s'échinent à continuer à faire vivre.

Car cette ville a un moteur puissant: c'est la musique, la musique, la musique. Aucun habitant n'y est indifférent, elle est présente à tout instant à chaque coin de rue et dans la tête de tous les personnages. C'est ainsi que la série offre de très nombreux moments musicaux, que ce soit des concerts ou de simples petits gigs dans des bars, des fanfares, des parades ou des musiciens de rues, des répétitions ou des enregistrement de studio. Tous les styles musicaux de la ville sont représentés. Et la série mêle avec bonheur acteurs et musiciens réels, inconnus ou célèbres; de fait, les guests stars, grandes figures de la musique locale, abondent: on verra par exemple apparaître Allen Toussaint et Elvis Costello, Docteur John, The Neville Brothers ou Coco Robichaux pour ne citer que les plus réputés.

On pourra bien sûr reprocher un manque d'enjeux, le seul élément réellement intriguant, la recherche de Daymo par Toni Bernette et LaDonna, se résolvant au bout de quelques épisodes; de même, certains développements secondaires tournent un peu court (le squat de "Big Chef" Lanbreaux dans la cité HLM fermée par les autorités, la candidature aux élections de Mac Alary). Mais cela n'empêche en rien de prendre un énorme plaisir à suivre le quotidien bien souvent "galère" de tous ces personnages auxquels on s'est d'emblée attaché.

A noter enfin la présence au scénario de certains épisodes, comme dans The Wire, de George Pelecanos.

Finalement, d'excellents acteurs donnant de l'épaisseur à des personnages intéressants et touchants, une mise en scène de qualité, une ville fascinante et de la musique: vivement la saison 2 !

 

Lien vers site HBO de TREME

Partager cet article
Repost0
20 août 2010 5 20 /08 /août /2010 10:11

Joy Division (2009), film-documentaire de Grant Gee

 

Joy Division Grant GeeD’emblée, ce film qui retrace la carrière météorique (4 ans d’existence et deux albums studio sous le nom de Joy Division) et pourtant durablement marquante du groupe, le resitue dans son environnement originel: le Manchester de la fin des années 70, c’est-à-dire une ville du nord de l’Angleterre, en pleine désindustrialisation, avec des quartiers misérables qui semblent encore appartenir à la fin du XIXème siècle, des rues où s’alignent des petites maisons toutes semblables accolées les unes aux autres, des terrains vagues, des ruelles sordides où jouent des enfants, une cité couleur gris-usine (Bernard Sumner avoue ainsi n’avoir jamais vu un arbre avant l’âge de 9 ans!). Et la très bonne idée du réalisateur, associer à ces images les premiers morceaux de ce qui deviendra Joy Division, apparaît alors comme une évidence. Oui, c’est de là que vient la musique de Joy Division et c’est de cela qu’elle parle: la douleur/cri de l’individu sur fond de noirceur industrielle.

Le documentaire est ensuite plus traditionnel dans sa forme, alternant interviews actuelles des acteurs de l’époque et images d’archives. Bien sur, au premier rang de ceux racontant Joy Division, on trouve Bernard Sumner, Peter Hook et Stephen Morris, mais aussi Peter Saville, Pete Shelley, Tony Wilson..., multiples mais brèves interventions mêlant anecdotes, analyses et ressentis émotionnels. A mettre en avant celle assez émouvante d’Annick Honoré, qui fut la compagne "non officielle" de Ian Curtis (Déborah, la femme officielle de Ian Curtis n’apparaît pas dans ce documentaire, on n’y lira d'elle que quelques propos retranscrits).

Les images d’archives, parfois inédites, sont elles captivantes. Elles donnent notamment bien sûr à voir le groupe sur scène et donc, surtout, Ian Curtis ; Ian Curtis dont la gestuelle épileptique, la voix ténébreuse, le visage douloureux ne peuvent que fasciner, reléguant ces trois comparses à l’arrière-plan. Et il y a ainsi un moment de gros plan sur ses yeux clairs paraissant déjà regarder l’au-delà qui provoque un réel frisson.

Car, au-delà de l’histoire du groupe, du rôle prépondérant de Martin Hannett dans le son de JD, de la création de Factory, etc..., petit à petit, le film s’attache de plus en plus à la figure prépondérante de Ian Curtis. Et l’on réalise que le chanteur était bien vite en décalage par rapport aux trois autres membres du groupe: alors que ceux-ci laissent parfois sous-entendre qu’ils auraient pu se laisser tenter par quelque chose de l’ordre du poncif "sexe, drugs and rock’n’roll" -particulièrement Peter Hook- (se qualifiant lui-même de petit con d’une vingtaine d’années), Ian Curtis, lui, semble vite à part, jeune homme marié à 19 ans, père d’un enfant, travailleur social impliqué, personnalité "néo-schizophrène"(?) (Sumner évoquant un moment "deux" Ian Curtis aux comportements bien différents), tiraillé entre deux amours, physiquement malade (épilepsie, effectivement). Et quand il parviendra à mettre fin à ses jours, Sumner avouera n’avoir jamais prêté attention aux textes de Curtis!

Le documentaire nous dit finalement que la musique de Joy Division –le plus important, ce qui reste encore aujourd’hui- a été ce qui a placé Manchester dans le monde rock. Sans doute. En tout cas, après la vision de ce très bon film, on n’a qu’une seule envie : aller chercher dans sa discothèque son vieux vinyl de Closer pour le remettre sur la platine.

 

 

Evidemment, on complètera avec bonheur la vision de ce documentaire par celle du biopic Control réalisé par Anton Corbijn .

Partager cet article
Repost0
17 août 2010 2 17 /08 /août /2010 09:41

L'ennemi dans le miroir (Fjenden I Spejlet – 2004) de Leif Davidsen, traduit du danois par Monique Christiansen.

 

(Ce roman fait suite à "Le Danois serbe" qui mettait déjà en scène l'affrontement entre Per Toftlund et Vuk, mais les rappels durant le cours de la narration permettent de le lire indépendamment du précédent.)

 

l'ennemi dans le miroir leif davidsenQuelques années après sa mission danoise, Vuk, le tueur serbe, a refait sa vie aux USA. Il est devenu John Ericsson, guide dans le désert de la Death Valley pour riches touristes en mal de sensations et s'est fondu, avec femme et enfants, dans la banalité du mode de vie banlieusard américain. Mais le 11/09/2001 fait exploser son tranquille quotidien: toutes les forces de police américaines sont sur le pied de guerre et vérifient la situation des immigrés sur leur territoire. Vuk/John est arrêté et identifié. Pour le commissaire des services de renseignements de la police danoise Per Toftlund, le 11/09/2001 marque aussi un changement: il est placé à la tête d'une cellule spéciale des services secrets dont la mission est de collecter des informations sur les réseaux islamistes. Un jour, Per apprend l'arrestation de Vuk et attend alors avec un sentiment de vengeance son extradition au Danemark. Quelques temps après, c'est de la mort de Vuk -frustrante pour Per- lors d'une tentative d'évasion dont on informe Toftlund. En réalité, les services secrets américains considèrent Vuk comme très intéressant du fait de sa connaissance des milices islamistes acquise durant la guerre des Balkans et donc comme  pouvant leur être potentiellement -et secrètement- utile. Ainsi, Toftlund et Vuk se retrouvent tous deux impliqués dans la nouvelle guerre contre le terrorisme.

 

C'est un polar nordique; on y retrouve donc certaines de ce qui semblent être les caractéristiques de ce sous-genre: un récit qui avance très lentement, l'introspection des personnages principaux et le travail en équipe -aux membres bien caractérisés- des enquêteurs; et, évidemment, le flic ayant des problèmes de couple! Et on retrouve aussi, plus prégnante encore que dans les œuvres des autres auteurs de polars nordiques, la critique sociale vis à vis de la société danoise. Leif Davidsen n'épargne en effet ni les médias, ni les politiciens, ni les simples habitants du pays. Ainsi trouve-t-on dans la bouche de Vuk: "Ce sont des Danois, c'est tout. Ils préfèrent rester entre eux. Ils ne se sentent pas à l'aise avec les étrangers. Ça n'a rien à voir avec la couleur de leur peau. Ils ne s'intéressent pas beaucoup à ça. C'est tout ce qui va avec qui les gène. C'est surtout qu'ils préfèrent rester entre eux. Il faut être comme eux. C'est comme dans un village, tu sais. Si tu es comme les autres, ça peut être agréable. Mais si tu sors du troupeau, ça devient un enfer (...)."

Car le thème profond de ce polar où la date du crime est le 11/09/2001, le lieu du crime les Twin Towers et la victime plusieurs milliers de gens, ce sont les nouvelles tensions entre l'Occident et le monde musulman en découlant; et ce du point de vue des services secrets/politiciens des nations occidentales, mais aussi de celui des simples individus. C'est ainsi que Davidsen brosse par exemple le portrait de deux jeunes femmes danoises nées de l'émigration arabe aux trajectoires contraires: Aïcha d'une part, une collègue de Toftlund au mode de vie moderne à la danoise qui a suivi des études supérieures; Fatima d'autre part, voilée, soumise aux règles strictes d'un mode de vie plus traditionaliste et mariée à "un cousin"; deux situations de femmes entre deux mondes, subissant toutes deux une énorme pression de la part de membres de leur communauté (Aïcha se fait insulter par de jeunes arabes, elle est une déception pour son père; Fatima craint d'être vue en compagnie d'un homme autre que son mari), tout en étant confrontées au racisme ordinaire; deux femmes tiraillées entre leurs désirs et le sentiment de culpabilité.

Mais le roman de Davidsen reste un polar; un polar qui voit Vuk contraint de revenir au Danemark, relançant l'affrontement entre les deux hommes: Vuk le tueur et Toftlund le flic. Paradoxalement, l'auteur parvient à nous attacher au tueur serbe, personnage complexe, hanté par  le cauchemar de la guerre et le souvenir du massacre de sa famille, homme traqué toujours sur le qui-vive en quête d'une vie simple d'amour, mais soldat capable de maîtriser ses émotions et de tuer de sang-froid. Et à l'inverse, Per Toftlund est loin d'être donné comme sympathique, ancien nageur de combat accueillant avec satisfaction les augmentations des crédits alloués aux services de police et de surveillance par un gouvernement de droite fraîchement élu, homme brutal qui a du mal à rester maître de ses émotions et pourtant un flic compétent à l'esprit assez ouvert et père attentionné d'une petite fille. Durant tout le roman, on attend donc la confrontation entre les deux, mais le savoir-faire de Davidsen est tel que jusqu'à la fin, on ne sait si elle aura vraiment lieu et à l'avantage de qui elle tournera.

Malgré quelques pages dignes d'un guide touristique pour Hawaii ou Venise, ce polar sans véritable enquête réussit à tenir le lecteur. Leif Davidsen sait multiplier les regards sur un sujet délicat, parvient à donner à son roman de l'ampleur tout en restant toujours à l'échelle humaine et ne rechigne pas à se coltiner frontalement aux réalités d'aujourd'hui.

Partager cet article
Repost0
9 août 2010 1 09 /08 /août /2010 11:04

 

Aller simple (Camino de ida – 2007) de Carlos Salem, traduit de l'espagnol par Danielle Schramm.

 

aller simple carlos salemOctavio Rincòn, un fonctionnaire falot entre deux âges de la banlieue de Barcelone, et sa tyrannique et plantureuse épouse séjournent pour les vacances dans un hôtel de Marrakech. Au cours de la sieste de l'après-midi, la femme d'Octavio meurt. Craignant d'être accusé de meurtre, Octavio cache le corps sous le lit, puis se rend au bar de l'hôtel pour y éprouver un sentiment de liberté nouveau pour lui. Là, il fait la connaissance de Raùl Soldati, un argentin à la fois escroc, homme d'affaires sans affaire et révolutionnaire sans révolution, qui va l'entraîner dans une série de tribulations picaresques à travers l'Atlas marocain.

 

Le scénario de ce livre peut sembler banal au premier abord: c'est en effet celui, archi-vu/archi-lu, du type ordinaire, à la vie médiocre, qui, suite à un événement fortuit, échappe à ce qu'il était jusqu'alors et découvre la liberté de l'aventure -et partant se découvre lui-même-. Pourtant, avec cette trame rebattue, Carlos Salem parvient tout de même à nous séduire et à nous entraîner à la suite d'Octavio, et ce grâce à une écriture enlevée et un traitement original.

Le style de Salem, simple, est rapide, "cavalant". Sans pause, il nous emmène avec Octavio et ses comparses dans une succession de péripéties et de rencontres de plus en plus invraisemblables... que l'on va prendre pour argent comptant sans sourciller!

Car si, au départ, on veut bien croire aux premiers évènements qui arrivent à Octavio (la mort de sa femme, la soirée avec Soldati), au fur et à mesure du récit, ils se font de plus en plus irréalistes (à l'instar des résultats des matchs de cette coupe du monde de football qui passionne tout le monde et qui deviennent de plus en plus improbables, footballistiquement parlant). Un temps alors, on s'interroge sur "la réalité" de ce que vit Octavio (Ne serait-ce en fait qu'un rêve ou un fantasme? par exemple), mais très vite, bast! Qu'importe! Le talent de Carlos Salem est de parvenir à suspendre notre incrédulité, à ce que l'on en vienne à se moquer de la vraisemblance pour ressentir le plaisir simple et stimulant de se laisser embarquer dans cette aventure drolatique et farfelue, d'accepter que sa route croise des personnages saugrenus. Ainsi, le sexe d'Octavio acquiert-il soudain des proportions asiniennes? Octavio est-il poursuivi par un diplomate/trafiquant bolivien et ses sbires qui lui tombent dessus à tout bout de champ? Une jeune et jolie suédoise tombe-t-elle dès leur première rencontre immédiatement amoureuse d'Octavio? Se lie-t-il d'amitié et fera-t-il route avec Charly, un vieil hippy qui se révèle être Carlos Gardel, mort 80 ans auparavant, et qui s'est donné pour mission de débarrasser la terre d'un chanteur bien connu qui s'est permis de reprendre ses chansons? Leur périple les amène-t-il en plein désert sur un tournage de film sans pellicule, qui paraît durer depuis une éternité et devoir se poursuivre de toute éternité? Visiteront-ils un écrivain (Mowles, un nom qui en rappelle un autre...), promis au Prix Nobel, qui n'a jamais écrit une ligne et que des adorateurs viennent vénérer du monde entier?  Et bien, à tout cela: pourquoi pas ?!?! On prend le tout, ça et bien d'autres choses encore, on les accepte et on en redemande.

Mais derrière les tribulations ébouriffantes d'Octavio, Salem nous laisse entendre aussi deux ou trois choses un peu plus profondes: par exemple que la vie n'est qu'un aller simple et qu'il vaut peut-être donc mieux foncer droit devant, tout en tâchant de se débarrasser du nuage noir des regrets et de la culpabilité qui nous suit et empêche le soleil de nous atteindre (et de devenir celui que l'on est?); ou que les vrais artistes ne meurent jamais et ont le droit (le devoir?) de revenir se débarrasser des usurpateurs qui s'approprient leurs œuvres (tant il est vrai que de nos jours, les "repreneurs" de tubes d'antan sont légion qui se font une notoriété à bon compte – et engraissent des patrons de maison de disques peu regardants...).

Le roman de Carlos Salem est réjouissant et optimiste, et fait parfois songer à ceux, déjantés, d'Edouardo Mendoza. C'est un livre qui parle d'amour, d'aventure, de révolution, d'art et de football ; que demander de plus ?

 

PS: L'éditeur du roman de Salem, Moisson Rouge, a eu la très bonne idée de rééditer le meilleur roman de Robert Bloch, Le crépuscule des stars. N'hésitez pas à faire d'une pierre deux coups!

 

Partager cet article
Repost0
4 août 2010 3 04 /08 /août /2010 10:42

 

Moby Dick (Id – 1851) de Herman Melville, traduit de l'anglais (américain) par Armel Guerne.

 

moby dick herman melvilleJe n'aurai pas ici l'outrecuidance de vouloir essayer d'ajouter quelque pauvre analyse de mon cru aux maints travaux universitaires déjà publiés au sujet du monument littéraire de Melville. (Ni non plus d'en proposer un résumé, tant le livre est connu). Non, mon propos sera autre: simplement rendre compte de l'enthousiasme suscité en moi par la lecture de cette œuvre vieille de plus de 150 ans et par-là même espérer inciter quelque autre lecteur du XXIème siècle, comme moi plus familier des polars ou autres romans contemporains, à monter à son tour à bord du Péquod.

Mais en premier lieu, il convient de savoir que monter à bord du vaisseau du Capitaine Achab, à l'instar du narrateur Ismahel, c'est s'embarquer pour un voyage au long -très long- cours: 800 pages. Et c'est tant mieux: car pendant toute la durée de la lecture-traversée, aussi longtemps que dure celle-ci, aussi longtemps, quoique l'on fasse, au fond du cerveau, toujours on sentira le souffle du vent océan poussant les voiles tendues à craquer, on humera l'odeur des embruns, on entendra les ordres beuglés de la passerelle par le second du navire, on s'aveuglera du miroir sans fin de la surface des eaux, on tanguera avec les remous permanents s'écrasant sur la coque du navire; et chaque jour tiraillé entre la hâte de poursuivre la lecture et la triste perspective d'en voir la fin s'approcher.

Bien sûr, pour l'habitué aux phrases courtes, voire télégraphiques (quand ce n'est pas dramatiquement "SMSiennes") de bon nombre d'œuvres contemporaines, l'écriture sinueuse de Melville, ses longues phrases tortueuses où se glissent les mots souvent abscons au lecteur d'aujourd'hui du jargon marin du XIXème siècle, réclament un temps d'adaptation. Mais très vite, on en ressent le plaisir simple d'en goûter la saveur, d'en apprécier l'esthétique. A tel point que, chose rarissime en ce qui me concerne, je m'arrêtais parfois au terme d'une de ces très longues phrases et la reprenais au début juste pour le plaisir de l'entendre à nouveau.

Car le style melvillien nous emporte tellement que, même lors des nombreux chapitres qui, interrompant le fil du récit proprement dit, nous narrent tantôt la symbolique de la couleur blanche, tantôt la fausseté de la représentation des cétacés sur les peintures ou ouvrages scientifiques de l'époque, ou les détails des techniques de dépeçage d'un cachalot; même avec ses multiples et savantes références aux histoires bibliques ou de l'Antiquité; même alors, quand a priori, peu nous importent la pensée de Platon à propos des baleines, l'interprétation historique de l'aventure de Jonas, la description anatomique minutieuse des différences entre la tête d'un cachalot et celle d'une baleine franche ou la méthode d'arrimage du harpon à une baleinière en chasse; même alors, les mots de Melville fascinent encore; même alors, le langage imagé, le souffle de Melville nous transporte (dans les deux sens du terme).

Et que dire des scènes de chasse ! Le plus végétarien des défenseurs des cétacés, le plus acharné opposant au massacre actuel de ces léviathans ne peut qu'y succomber à la bourrasque, à la tempête épique de la langue de l'auteur. Dans ces moments-là, c'est parfois debout comme à la proue instable d'une baleinière ballotée par les flots, le poing serré comme agrippant un invisible harpon que je poursuivais ma lecture!

Et puis Achab !! Figure damnée qui se révèle petit à petit, de plus en plus tout à la fois humain d'accablement et inhumain par sa folie! Et puis Quiequeg, Starbuck, Stubb, les heures de vigie en haut des mâts, les requins, les "gams"; et puis... et puis...

Alors, finalement, ce ne peut en rien être le hasard qui a fait que, tandis que tant d'autres pages d'écriture sont tombées dans l'oubli, un Don Quichotte, un Voyage au bout de la nuit, un Guerre et paix ou un Faust demeurent aujourd'hui encore des lectures accessibles à tous. Ou un Moby Dick. Peut-être ces œuvres ont-elles toutes à voir avec quelque chose de fondamental en chacun de nous? Et/Ou peut-être est-ce simplement de l'art? En tout cas, entre un Philip K Dick et un Johnathan Coe, entre un Cormac Mac Carthy, un Donald Westlake et un Hennig Mankell, un Andréa Camilleri et un Georges Simenon ou un Didier Daeninckx, oser se lancer, parfois, dans l'aventure de tels monuments, se faire même violence pour en poursuivre la lecture, c'est à coup sûr s'offrir à éprouver quelque chose de plus grand que soi.

Finalement, au terme de mes deux semaines de voyage à bord du Péquod, j'en suis débarqué pantelant par sa fin brutale, haletant comme Ismahel balloté par les flots et se raccrochant au cercueil de Quiequeg; et c'est le souffle court, la chevelure encore embrumée d'écume, le visage crevassé par le sel et les muscles des bras noueux d'avoir tant de fois lancé le harpon que je reposai le livre. Mais le cœur gonflé par le monstrueux léviathan blanc qui est désormais en moi.

Pour tenter une dernière fois de faire partager mon enthousiasme, je livre ci-dessous un formidable extrait de l'œuvre. Les trois baleinières du Péquod -une baleinière est une barque avec un mât de voilure dans lequel embarquent cinq à six rameurs, un barreur et le harponneur, et qui donnent la chasse au cachalot- sont sur l'océan calme, rames levées et voile affaissée, et tout le monde attend que Moby Dick réapparaisse du fond des mers. Voici l'extrait:

"L'onde se mit soudain à gonfler en lentes vagues amples autour d'eux, qui éclatèrent brusquement, comme écartées sur les flancs d'un iceberg monté d'un coup à la surface. Un souffle profond se fit entendre, comme un puissant murmure de sous terre; et les hommes retenaient tous leur respiration quand surgit, dans un saut oblique, l'immense corps des profondeurs, tout embarrassé de lignes emmêlées, de harpons et de lances. Enveloppé d'un voile vaporeux de fine bruine retombante, il apparut un moment suspendu dans l'espace auréolé d'un arc-en-ciel, pour retomber pesamment sur l'abîme des eaux. Jaillissantes en gerbes et lancées à quelques trente pieds de haut comme des jets de fontaines, ces eaux étincelèrent dans le soleil, éblouissantes, avant de se séparer et de répandre une averse qui laissa crémeuse comme lait fraîchement tiré toute la surface autour de la masse marmoréenne du cachalot."

Qu'ajouter à cela?!?!

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 10:28

Les forbans de la nuit (Night and the city – 1950), de Jules Dassin, avec Richard Widmark, Gene Tierney, Herbert Lom, Francis L Sullivan,Googie Withers, Stanislaus Zbyszko, Mike Mazurki, Hugh Marlowe.

 

les forbans de la nuit jules dassinHarry Fabian, costume pied-de-poule ou à fines rayures, chaussures deux tons et fleur à la boutonnière, est un petit magouilleur connu de tout le Londres des bas-fonds, toujours un "grand projet" en préparation, toujours à la recherche d’argent pour le monter. Harry est rabatteur pour le Renard Argenté, une boite de nuit où chante Mary, sa fiancée. Cette  boîte est dirigée par le gros Phil Nosseross et sa compagne Helen. Une nuit où Harry, à la recherche de gogos à attirer au Renard Argenté, se mêle au public d’un match de catch, il assiste à la colère de Grégorius, un ancien champion de lutte gréco-romaine outragé par ce spectacle qui déshonore ce noble art. C’est le propre fils de Grégorius, Kristo, un patron de la pègre craint et respecté de tous, qui a le monopole de l’organisation des combats dans Londres. Harry a l’idée d’un nouveau coup et, profitant de la brouille entre père et fils, il se lie avec Gregorius et lui propose d’organiser des combats respectueux de la tradition. Pour lancer ce nouveau "big plan", Harry réussit à obtenir de l’argent d’Helen en échange d’une licence qui permettra à celle-ci de quitter Phil, qu’elle méprise, et d’ouvrir sa propre boite de nuit. Grâce à cette somme de départ, Harry convainc Phil de devenir son associé et de le financer. Harry devient ainsi patron d’une salle de sport  et organisateur des combats du poulain de Grégorius, Nicolas, Kristo ne pouvant rien contre lui tant qu’il est sous la protection de Grégorius. Mais Phil, jaloux, croyant à une histoire entre Helen et Harry, va chercher à perdre ce dernier. Commence alors la chute de Harry.


Londres, la nuit. Un homme traqué court à travers des ruelles sordides. Ces premières images de Harry Fabian placent d’emblée le personnage sous le signe de la traque, de la fuite en avant, et de la nuit. Et tout au long de ce film nocturne,  Harry Fabian sera sans cesse en mouvement, sans cesse en quête.

Harry Fabian, c’est Richard Widmark qui trouve-là l’un de ses meilleurs –si ce n’est son meilleur- rôles. Visage de fouine au regard tour à tour traqué, moqueur ou séducteur, il in carne dans une composition extraordinaire un petit embrouilleur roublard, hâbleur, manipulateur, charmeur, persuasif, imaginatif, à la faconde inépuisable. "He’s an artist without an art", dira de lui le voisin de Mary. les forbans de la nuit richard widmark 1Malgré les multiples défauts, malgré les bassesses dont se montre capable son personnage, Widmark nous le rend sympathique, attachant. Car Harry est généreux, exempt de toute méchanceté, de toute volonté de nuire. Harry est un aimable loser pour les autres "forbans de la nuit" qui le regardent d’un œil plutôt bienveillant et désabusé tout à la fois, voire même presque attendri. Car en réalité, Harry est resté un enfant, comme le dira sa fiancée Mary ; un enfant dévoré par l’ambition, au besoin de reconnaissance démesuré qui lui donne une inépuisable énergie (voir sa réaction lorsqu’il reçoit la plaque à son nom le désignant comme manager). Son credo : "I wanna be somebody." Lorsque à la fin du film, Harry, épuisé, vidé, abandonné, cessera enfin de courir, ce sera auprès de la vieille Anna, une trafiquante de cigarettes et de bas nylon des bords de la Tamise qui, dans un bercement maternel, lui offrira sa dernière cigarette -comme un ultime biberon- tandis que Harry, baissant les bras pour la première fois, évoquera un bref instant son enfance, posera un dernier regard lucide sur sa vie de perpétuel fuyard de lui-même, dans une séquence où il voit enfin le jour se lever.

Quelles que soient l’énergie, la débrouillardise d’un Harry Fabian, dans ce monde qu’est la face cachée de Londres, son enthousiasme naïf ne fait pas le poids face au machiavélisme torturé d’un Phil Nosseross, face au pouvoir et au sang-froid méthodique d’un Kristo.

Un excellent Francis L Sullivan campe Phil Nosseross, personnage pachydermique qui semble avoir enfoui sous d’énormes couches de graisse et d’argent une douleur lointaine en faisant un être à l’affectivité totalement dépendante de Helen, tandis qu’il se montre une figure paternelle méprisante vis-à-vis de Harry. Cet attachement vital mais vain de Phil pour Helen l’amènera à ourdir un plan retors pour entraîner la chute de Harry lorsque qu’il le croira responsable de la trahison de Helen.

les forbans de la nuit sullivan withersGoogie Withers est Helen, belle figure de garce plus dans la tradition du film noir, femme frustrée et revancharde, avide, dirigeant fermement le cheptel féminin du "Renard Argenté".

Herbert Lom interprète Kristo, chef de pègre froid -personnage lui aussi habituel du film noir- avec un jeu bien plus sobre que ce ne sera le cas dans la suite de sa carrière. Pourtant sa relation défaite avec son père, Grégorius, vient épaissir le personnage, y ajoutant, un temps, une touche de sensibilité.                               

Bien sûr, on regrettera les apparitions bien trop rares, le rôle bien trop ténu, le personnage trop peu étoffé de Mary, qu’interprète une Gene Tierney toujours aussi resplendissante de beauté ; Mary dont les aspirations à une vie plus conventionnelle trouveront leur accomplissement plus sûrement auprès de son voisin artiste plutôt qu’auprès d’un Harry toujours sur la brèche, et ce malgré toute la sincérité de l’amour et le soutien sans faille qu’elle porte à ce dernier.

Dans une filmographie pourtant guère étincelante, Jules Dassin réussit avec ce "Night and the city" son chef-d’œuvre. Ce film, son dernier pour un grand studio hollywoodien, il le tourna à Londres, envoyé là par la 20th Century Fox parce que "Dassin-le-rouge" commençait à être un peu trop dans le collimateur de la Commission des Activités Anti-américaines (et aussi pour permettre à la Fox d’utiliser un argent impossible à rapatrier alors compte tenu de certaines lois en vigueur). Le Londres que filme Dassin, n’est pas celui, diurne, des monuments et musées pour guides touristiques. Dassin nous entraîne au contraire dans des ruelles sordides, des arrière-cours sinistres, des lieux interlopes et malfamés à la rencontre de faussaires, trafiquants, faux mendiants, hommes de main, racketteurs ; les "forbans de la nuit" qui peuplent la face sombre de Londres, (une visite qui n’est pas sans rappeler "M Le Maudit" de Fritz Lang), dans un noir et blanc magnifiquement photographié (remarquable travail du directeur photo berlinois Max GreeneMutz Greenbaum- de son vrai nom-).

les forbans de la nuit richard widmark 2Car multiples sont les images magnifiques de ce film à la mise en scène parfois audacieuse qui viennent se graver dans la mémoire du spectateur : ces gros plans sur le visage tourmenté de bête pourchassée de Widmark ; ces contre-plongées sur Francis L Sullivan, énorme stature écrasant l’image de son embonpoint wellesien (plans évoquant notamment "La soif du mal" dudit Orson Welles) ; et cet étrange moment de calme fatigué, lors de ce plan fixe en légère plongée où l’on voit Phil, de dos, gros ours assis à son bureau dans sa cage de verre/tour de contrôle surplombant la salle du "Renard Argenté", en un premier plan occupant toute la gauche de l’écran, échanger quelques paroles anodines, d’un quotidien las, avec Mary, au second plan à la droite de l’écran, assise seule à une table dans la pièce désertée au moment de la fermeture de la boite de nuit.

A la vision de ce film riche, on pourra aussi s’interroger sur l’ambiguïté d’un discours sous-jacent de Dassin –grec de naissance- sur son pays d’origine : ceux qui provoqueront la chute de Harry ont un nom qui sonne grec (Nosseross) ou le sont effectivement (Kristo). A ceux-ci s’oppose la fière figure de Grégorius, campée par Stanislas Zbyszko, véritable lutteur que Jules Dassin vit dans son enfance en Grèce, qui semble porteur d’une noblesse et d’une grandeur  passées –révolues ?-. Alors que dire de la relation brisée puis renouée –le pardon- entre Grégorius le père garant d’une Grèce éternelle mais intransigeante et Kristo le fils exilé et corrompu mais qui "a réussi" (exilé comme l’est Jules Dassin...)

Au final, c’est une tragédie (grecque)  que nous propose  Dassin.forbans de la nuit widmark tierney Le Destin a  jeté son dévolu sur Harry et scellé son sort, et qu’elle que soit l’énergie avec laquelle il se débattra, rien ne lui fera y échapper à sa fatale issue. Une tragédie ; comme l’est tout très grand film noir.

Aucune cinémathèque "noire" qui se respecte ne saurait se priver de ce "Night and the city".

 

Le film est tiré du roman homonyme de Gerald Kersh écrit en 1938.

A noter l’existence d’un médiocre remake par réalisé Irwin Winkler ("La loi de la nuit" en français - 1992), avec Robert De Niro et Jessica Lange.

Partager cet article
Repost0
8 juillet 2010 4 08 /07 /juillet /2010 11:47

Flight (id. – 2007) de Sherman Alexie, traduit  de l’anglais (américain) par Michel Lederer.

 

flight sherman alexieSpots est un jeune délinquant de Seattle, d'origine mi-irlandaise, mi-indienne, le visage piqué de boutons d’acné (d’où son surnom), baladé de foyers en maisons d’accueil depuis l’enfance. Un jour, il se lie d’amitié avec  Justice, un autre jeune comme lui à la dérive. Ensemble, ils braquent une banque et Spots prend une balle dans la tête. Avant que son corps ne touche le sol, il part dans un étrange voyage dans le temps et dans l’espace qui lui fera revivre des moments-clef de l’histoire des indiens d’Amérique et de l’histoire de ses origines familiales.

 

Les premiers romans de Sherman Alexie (Indian Blues, Indian Killer) étaient déjà vraiment très très bons. Ce Flight est encore meilleur.

Ce livre, c’est d’abord une sacrée secousse d'émotions. En à peine 200 pages, cette ballade par sauts d’un lieu et d’un temps à un autre nous trimballe surtout dans un vaste registre de sentiments : on ressent haine, désir de vengeance, culpabilité, miséricorde, compassion, peur, colère, solitude, amour, trahison, besoin de respect, rédemption... ouf!  On ressort épuisé de cette lecture.

Epuisé, bourneboulé, mais surtout enthousiasmé par la qualité de l’ouvrage.

Toute l’histoire -les histoires- nous est contée à travers le regard, les pensées de Spots. L’écriture de Sherman Alexie est proche du langage parlé, simple, lisible, sans fioritures ; et sans une once de pathos : le destin de Spots est pitoyable –et écrit d’avance-, mais lui ne s’apitoie pas sur son sort. ; il est Spots/Spotsman ("Je suis Spotsman, le maître de l’univers"), coincé dans un corps, une vie qu’il ne maîtrise en rien, réagissant aux évènements plus qu’agissant, cherchant avec une inépuisable énergie simplement à s’en tirer. Il lui faudra passer par d’autres corps, d’autres vies dont il devra prendre le contrôle ; désorienté, il lui faudra creuser, chercher –et souvent très rapidement compte tenu des situations dangereuses qu’il traverse- au fond de lui-même afin d’y trouver les ressources de sa survie pour finalement réussir à se débarrasser de la peau grêlée de Spots, accepter son véritable nom et devenir enfin lui-même. Car la question du livre est là : avec sur les épaules l’écrasant fardeau de sa propre histoire familiale et celui de l’Histoire (ici, l’Histoire sanglante des nations indiennes), comment parvient-on à devenir soi-même ?

Alors si le principe du livre peut dérouter dans un premier temps, s’attacher à une forme de logique (Spots revoit-il non pas sa vie, mais celle de sa famille, de ses ancêtres dans les quelques secondes qui précèdent sa mort ? Ou tout cela, y compris le braquage de la banque, est-ce simplement un rêve ? Où tombe-t-il dans un trou de l’espace-temps ? Ou....) serait faire preuve d’une ridicule et mesquine étroitesse d’esprit, et passer totalement à côté de ce roman. Peu importe comment Spots se retrouve soudain à Little Big Horn ou dans la peau d’agent du FBI ou dans celle de son propre père : l’intensité de ce que Spots vit et nous fait vivre est telle qu’elle ne nécessite aucune justification rationnelle. Laissez tomber tout cynisme, tout détachement, tout regard hautain, plongez dans ce livre, plongez dans la vie/les vies de Spots sans retenue et laissez s’exprimer vos émotions..

 

Site de Sherman Alexie (en anglais)


Partager cet article
Repost0
6 juillet 2010 2 06 /07 /juillet /2010 10:26

Un soupçon légitime (War er es ? – 1ère publication en 1987) de Stefan Zweig, traduit  de l’allemand par Baptiste Touverey.


un soupçon legitime stefan zweigUn couple âgé décide de s’installer dans un endroit isolé de la campagne anglaise et y fait construire une petite maison. A quelques temps de là, un jeune couple y fait également bâtir sa maison. Les deux couples voisins se lient d’amitié. Le jeune homme est particulièrement excessif dans ses sentiments et dans leur expression. Un jour, il adopte un chien, Ponto, qu’il se met à vénérer à un point tel que l’animal devient petit à petit le maître tyrannique de la maison. Mais la jeune femme tombe enceinte et le chien voit, d’un très mauvais œil, l’adulation dont il est l’objet remise en cause.

 

Peut-être qu’au vu du succès –inattendu ?- en 2008 de l’édition de la nouvelle inédite de Zweig "Le voyage dans le passé", l’éditeur a cru pouvoir renouveler le coup l’année suivante avec cette autre nouvelle inédite qu’est "Un soupçon légitime" ? Malheureusement pour lui, il semblerait que les chiffres de ventes –plus que corrects cependant- de cette nouvelle parution n’aient pas été à la hauteur de la précédente.

De fait, cette nouvelle n’est pas au niveau du petit bijou publié antérieurement. Mais attention : elle est très très loin néanmoins d’être dénuée d’intérêt ; d’abord parce que, quoi qu’en en dise, cela reste du Zweig et, en soi, c’est déjà un gage de qualité –et de plaisir-.

Car on y retrouve ce qui participe pleinement du charme de l’écrivain : le style, beau (oui, beau !), aérien, précis, riche mais toujours d’une extrême lisibilité ; la finesse, la justesse des observations psychologiques, la pertinence, la subtilité des portraits des personnages. Tout cela à tel point que l’anthropomorphisme de la narratrice vis-à-vis du chien qui transparaît parfois ne pose aucun problème au lecteur et celui-ci l’accepte entièrement.

Au total, cette nouvelle, écrite sans doute vers la fin des années 30 d’après ce que suppute le traducteur,  n’est sans doute pas celle qui convient à qui voudrait découvrir Stefan Zweig (préférez-lui ces petits chef-d’œuvres que sont les plus réputés "Lettre d’une inconnue", "Le joueur d’échecs", "La confusion des sentiments" ou "24 heures de la vie d’une femme", par exemple). Mais sa lecture m’apparaît néanmoins indispensable aux amateurs de l’auteur, ne serait-ce que, pour une paire d’heures, entendre à nouveau, avec délice, la voix de Zweig.

Alors finalement, si la publication d’œuvre de –un petit peu- moindre qualité de Zweig permet de maintenir ce merveilleux auteur au goût du jour (comme le montrent les tirages des rééditions de poche), qui s’en plaindrait ?

 

PS : pour les germanistes, comme c’était déjà le cas avec "Le voyage dans le passé", la version  originale en allemand du texte suit sa traduction en français.

 

Stefan Zweig sur Wikipedia france

Site consacré à Stefan Zweig


Partager cet article
Repost0
5 juillet 2010 1 05 /07 /juillet /2010 11:38

 

La morsure du lézard (Spirit Sickness – 2000) de Kirk Mitchell, traduit de l’anglais (américain) par Daniel Lemoine.


la morsure du lezard kirk mitchellEtats-Unis, Grande Réserve Najavo. A l’arrière d’un véhicule de police abandonné dans un coin reculé sont retrouvés les cadavres calcinés d’un officier de la police navajo et sa femme. L’enquête sur ce double crime revient à Emmett  Parker, un indien commanche officier du Bureau des Affaires Indiennes et son équipière Anna Tunipseed, indienne modoc agent spécial du FBI. Leurs investigations à travers les paysages désolés des Four Corners vont les amener sur la piste d’un tueur psychopathe qui se prend pour le dieu Lézard Perlé.


Il m’arrive parfois, au terme d’un week-end agité, de me vautrer bovinement sur mon canapé, le dimanche soir venu, et de me coller devant la télé pour y regarder un de ces polars manufacturés Hollywood : c’est  généralement correctement filmé, correctement scénarisé, correctement joué (souvent avec Mel Gibson ou Denzel Washington dans le rôle principal) ; c’est du produit bien fichu, solide, qu’on regarde sans déplaisir mais... c’est sans éclat, sans style, sans âme. C’est la même impression que m’a faite ce roman

Oh, bien sûr, dans le livre de Kirk Mitchell, tous les ingrédients du polar sont là : l’enquête avec de fausses pistes, le gang de voyous, les rapports ambigus entre les personnages, les paysages écrasants, les distances interminables à parcourir sur des routes désertes, les personnages secondaires plus ou moins équivoques, les scènes d’action, un peu de suspens, la traque du tueur psychopathe, les traumatismes de l’enfance, le poids des traditions et les rites des diverses nations indiennes, les susceptibilités respectives du FBI et du BIA... c’en est presque trop. Tout est là, mais la sauce ne prend pas vraiment.

Ainsi, le style : quelconque, banal, aucune phrase, aucune idée originale dans l’écriture, aucun enchaînement dans le déroulement qui inciteraient le lecteur à interrompre un instant sa lecture pour en goûter la saveur.

Ainsi, les personnages principaux : on ne s’attache pas à eux, on ne ressent rien de leurs émotions, on en vient même à se foutre de leurs problèmes relationnels.

Ainsi le tueur psychopathe : oui, il y a bien l’origine glauque, les sévices et traumatismes durant l’enfance,  la psychose en résultant, la "voix" dans sa tête (non ?!?!), les croyances perverties, la vengeance... mais lui aussi nous laisse indifférent.

Parce que tout cela sent l’atelier d’écriture, le plan bien conçu et la mise en pratique de recettes : par exemple, nombre de chapitres ou parties de chapitre commencent par une scène dont on ne parvient pas d’emblée à faire le lien avec ce qui a précédé. Après un ou deux paragraphes, un court flash back nous explique comment on en est arrivé là, avant que ne reprenne la scène initiale. La fréquence d’un tel agencement sent le procédé, le "truc" d’écrivain. Et ce n’est pas le seul. On a affaire sans aucun doute à un bon professionnel de l’écriture ; un pro du polar, oui ; un auteur, non.

Au final, la lecture de ce deuxième roman de la série Parker – Turnipseed n’est pas vraiment désagréable. Il pourrait même plaire aux amateurs de Michael Connelly ou Harlan Coben. C’est du produit bien fichu,  solide, etc. (voir plus haut). C’est même bien meilleur que beaucoup de ces best-sellers qui étouffent les têtes de gondole des "coins culture" des supermarchés. Tiens, Hollywood pourrait probablement en faire un film parfait ... pour un dimanche soir à la TV.

Kirk Mitchell n’est pas un mauvais raconteur d’histoires, mais c’est avec de telles lectures qu’on réalise, par comparaison, combien un James Ellroy, un George Pelecanos, un David Peace ou un James Lee Burke par exemple sont eux plus que de simples écrivains de polar ; ils ont ce qui manque à Kirk Mitchell : l’âme d’un auteur.

Sur la couverture de l’édition de poche, l’éditeur reprend un extrait d’article paru dans le magazine People (on a les références que l’on peut...) disant « Tony Hillerman méfies-toi... Mitchell maîtrise son sujet ! ». Qu’il y a de la maîtrise dans le roman de Kirk Mitchell, c’est indéniable ; mais ce pauvre Hillerman n’avait en réalité pas grand’ chose à craindre. Alors, tant qu’à lire des "polars ethnologiques", optez plutôt le créateur de Joe Leaphorn et Jim Chee.

Partager cet article
Repost0

Recherche

Archives